Auteur: Xavier Foucaud
Publié le Il y a 1 mois
Diffusée sur NBC de 2005 à 2013 (201 épisodes), la série The Office version US présente sous la forme d’un documentaire parodique (ou mockumentary) la vie quotidienne des employés de Dunder Mifflin, entreprise fictive spécialisée dans la vente de papier, dans la branche locale de Scranton, Pennsylvanie.
C'est le sujet d'étude choisi par deux chercheuses, Sophie Rauch (Neoma Business School) et Catherine Lespérance (ESCP Business School), et présenté dans la revue « Saison. La revue des séries. Management en séries » (éditions Classiques Garnier), afin d'observer comment les mécaniques de motivation présentées dans la série, tant du côté du siège que de la branche locale, correspondent aux schémas classiques de motivation, et font preuve d'efficacité. Plongée dans la vie du bureau de l'entreprise Dunder Mifflin et de ses rocambolesques employés.
Chez Dunder Mifflin, on retrouve la hiérarchie classique d’une entreprise : les dirigeants (le « siège »), le manager local Michael, et son équipe (les départements ventes, comptabilité, entrepôt, relation clients, sans oublier Pam à l’accueil).
Question motivation, tout le monde n’a pas le même concept en tête. Si le siège privilégie une approche classique de la motivation au travail, les équipes de Dunder Mifflin à Scranton en ont une mise en pratique beaucoup plus confuse et fluctuante.
Côté siège, les incursions et visites régulières à Scranton de ses représentants, tels que les Vice-Présidents (VP) Jan et Ryan, supérieurs directs successifs du manager, ou du CFO par téléphone), sont autant d’occasion d’utiliser différents leviers motivationnels sur les équipes, jonglant entre autorité imposée et incitation à la performance.
Levier 1 : la coercition
La coercition est le pouvoir officiel de contraindre quelqu'un à faire quelque chose, ou à le faire d'une certaine façon, ou à ne pas le faire du tout. Dans The Office, le contexte économique tend à justifier le pouvoir de coercition exercé par le siège lors de leurs visites de la branche de Scranton, entre réduction des coûts (saison 1), heures supplémentaires (saisons 1 et 6), changements stratégiques (saison 4), jusqu’à la menace de licenciement en cas de création d’une section syndicale en saison 2. De quoi faire imposer ces changements aux équipes locales sans discussion et les maintenir au travail.
Levier 2 : la régulation
Dès le second épisode de la saison 1, le siège organise un séminaire afin de rappeler les règles en matière de diversité. Si l’initiative se veut pédagogique, sa mise en œuvre tourne rapidement à la démarche correctrice voire procédurale. Et le siège en profite pour viser l’ensemble du personnel alors que le séminaire ciblait au départ le comportement de Michael, jugé inapproprié.
Tout au long de la série, nous verrons ainsi le siège intervenir pour tempérer voire éradiquer tout comportement jugé non-conforme à l’éthique de l’entreprise, entre séminaire de « business ethics » en saison 5, envoi d’Andy à un « angry management training » pour l’aider à gérer sa colère en saison 3, blocage de sites Internet sur les postes des collaborateurs et vérification des communications téléphoniques en saison 6.
Levier 3 : l’incitation
Si le siège sait se montrer autoritaire, il adopte également parfois des stratégies d’engagement pour tenter de booster la motivation des équipes locales. On voit ainsi naître dans The Office des initiatives pour partager les bonnes pratiques, comme un « lecture circuit » de Michael auprès des autres branches de Dunder Mifflin en saison 5, un « team building » dans les saisons 5 et 9, ou une mise en compétition entre les différentes branches sous forme de jeu dans la saison 8.
Pour générer la performance au sein de sa branche locale, le siège sait aussi organiser des opérations plus ciblées, en créant des primes à la performance (saison 6, via une promotion et une distribution de bonus) ou en choyant les meilleurs vendeurs qui ramènent de nouveaux contrats (saison 6 également).
The Office montre aussi la reconnaissance des employés par la direction. On peut citer comme exemples la promotion de Jim au début de la saison 6, le cas de Darryl, promu de l’entrepôt au bureau en saison 6, ou diverses initiatives pour promouvoir les femmes compétentes au sein de l’organisation (Pam en saison 2, Kelly en saison 6).
Si l’on peut voir ces progressions comme étant autant instrumentales qu’affectives de la part du siège, elles lui permettent tout de même d’opérer un rééquilibrage bienvenu en termes d’équité professionnelle.
Dans The Office, certains employés sont particulièrement sensibles à la promotion. C’est le cas notamment de Dwight et Michael. Ainsi, dans l’épisode « Dwight’s Speech » (S2E17), Dwight reçoit le prix du vendeur de l’année et doit faire un discours (d’où le titre de l’épisode). Michael en profite pour rappeler qu’il a lui aussi remporté ce prix, deux fois. Ces deux personnages, via leur comportement face aux mécaniques de reconnaissance et de récompense mises en place, illustrent bien l’efficacité de ces leviers de motivation traditionnels sur certains employés.
Si l’on prend le cas de Jim et Pam, leur motivation au travail trouve sa source dans les relations informelles entre les deux collègues, principalement basées sur l’humour. Les farces au bureau portent en elle des significations profondes, et incarnent une forme de « sociabilité professionnelle », contribuant à l’inclusion et la cohésion d’équipe. Ainsi, dans le premier épisode de la saison 2, Jim et Pam immergent dans de la gelée la calculatrice du nouveau venu Andy, avant de cacher son téléphone dans le faux plafond dans la saison 3.
La série The Office illustre bien les nuances et les complexités liées à l’alignement des motivations de chaque membre d’une équipe au sein d’une entreprise. Si la sur-motivation de Dwight et Michael peut mener à des comportements contre-productifs, la sous-motivation perçue chez Pam et Jim cache des contributions essentielles à l’entreprise (Jim restant un excellent vendeur par exemple).
En outre, ces différents leviers de motivation sont évolutifs et peuvent s’adapter à une personnalité autant qu’à des configurations spécifiques, notamment collectives. Le siège, dans sa vision unique de la motivation et son obsession de la performance, finira par disparaître. Quant à la branche de Stranton, dans sa prise en compte commune de la motivation, basée sur les personnalités et l’aspect personnel, via des leviers aussi bien classiques que plus originaux, générera contre toute attente une performance durable.
En résumé, que nous apprend The Office ?
Les personnages de la série répondent tous à des motivations diverses, qui peuvent varier en fonction des configurations. Au final, la série interroge l’efficacité des leviers traditionnels de la motivation, et souligne l’importance de mettre en place des politiques RH proches des salariés, qui tiennent compte des dynamiques tant individuelles que collectives au sein de l’entreprise.
Sources :
Saison. La revue des séries. Management en séries (2024 - 2, n °8), Claire Edey Gamassou (dir.), Classiques Garnier, 180 pages, 12 euros
Les séries sous l’œil de la recherche en management : « The Office », « Engrenages »…, Le Monde, François Desnoyers, 01 mai 2025