Auteur: All Eyes On Me
Publié le Il y a 1 mois
S’installer au Luxembourg, quand on vient de l’étranger, constitue un défi majeur. Afin de faciliter la venue des talents dont elles ont besoin, les entreprises redoublent d’efforts, en s’appuyant sur des services de relocalisation : recherche de logement, démarches administratives, préparation de l’accueil des familles… Il en va de l’attractivité du pays, un enjeu central qui préoccupe tant le secteur public que privé.
De plus en plus, les entreprises prennent des mesures afin d’aller chercher, parfois très loin, les profils spécifiques nécessaires pour continuer à grandir. Afin de les convaincre de venir s’installer au Luxembourg, elles n’hésitent pas à accompagner les nouvelles recrues dans leur processus de déménagement et à mettre tout en œuvre pour faciliter leur installation.
2024 était une année record en matière de demandes de visas au Luxembourg (Inde, Turquie, Chine et Maroc étant dans l'ordre les pays ayant le plus demandé de visas en 2024). Le ministère des Affaires étrangères et européennes y voit un témoignage de l’attrait pour le pays en tant que destination de travail.
Dans ce contexte, on a aussi vu se développer des agences spécialisées en « relocation », un terme anglophone qui désigne le processus entourant l’embauche d’un salarié étranger, posant ses valises au Luxembourg, dans le but d’y travailler et d’y vivre.
« Notre clientèle est composée à 90 % d’entreprises, explique Stéphane Compain, CEO de l’agence LuxRelo, spécialiste du sujet. Elles font appel à nous une fois que le ressortissant étranger a été embauché, pour accompagner son repositionnement au Luxembourg. Notre palette de services est assez large. Tout dépend des besoins de la personne et de ce que l’entreprise prend elle-même en charge. S’il s’agit d’un citoyen non européen, les démarches doivent être faites pour lui obtenir un permis de travail. Vient ensuite la recherche d’un logement temporaire, puis d’un logement définitif. En parallèle, il faut s’occuper de toute la paperasse administrative, et au bout du processus arrive le titre de séjour. »
D’une entreprise à l’autre, l’accompagnement des salariés recrutés en dehors du pays diffère selon plusieurs critères.
Chez PwC Luxembourg, Séverine Moca, Head of Human Capital Operations, gère plusieurs aspects du personnel, dont l'équipe Mobilité internationale. « Notre équipe coordonne plusieurs programmes de mobilité internationale en interne, explique-t-elle. Nous recrutons divers profils qui viennent travailler chez nous dans le cadre d’échanges qui durent de quelques mois à une ou deux années. Les collaborateurs recrutés dans ce contexte bénéficient d’un “package relocation”. Nous les mettons en lien avec des agences de relocalisation, qui se chargent des démarches d’immigration nécessaires pour qu’ils puissent venir travailler au Luxembourg le cas échéant, mais aussi d’aller les chercher à l’aéroport et de placer un panier de victuailles dans leur frigo, lorsqu’ils arrivent un jour férié ou un dimanche. Cela peut sembler être un simple détail, mais ce type d’effort fait la différence ».
Les collaborateurs recherchés par PwC à l’étranger sont le plus souvent des auditeurs et des consultants. « Ce sont des profils seniors ou manager » explique Séverine Moca.
Chez LuxRelo, on voit toutes sortes de profils passer. « Nous travaillons pour tous les secteurs : finances, services, industries. Cela va du nouvel embauché jusqu’au CEO. Leurs origines sont très variables. On constate aussi un impact géopolitique et économique sur les flux de personnes. Par exemple, la guerre en Ukraine a amené beaucoup d’Ukrainiens sur le territoire luxembourgeois. Dans les années à venir, avec ce qu’il se passe actuellement aux Etats-Unis, nous verrons peut-être davantage d’Américains, qui sait ? » s’interroge Stéphane Compain.
Certains pays sont pourvoyeurs de profils spécifiques, comme l’Inde, qui amène beaucoup de travailleurs dans le secteur de l’IT, à l’instar de Meera (NDLR : le prénom a été changé) et de son époux Amit, expatriés au Luxembourg. « Mon mari et moi sommes arrivés au Luxembourg avec nos deux enfants en août 2018, se souvient Meera. Il travaille dans l’IT et a eu une belle opportunité d’emploi dans une banque au Luxembourg. Il est arrivé seul, au mois de mars, car nos jumeaux étaient encore bébés à l’époque, j’étais donc restée en Inde avec eux. La banque qui embauchait Amit lui a offert le soutien d’une agence de relocalisation qui l’a aidé à trouver un logement temporaire au début ».
Pour qu’un recrutement d'un profil international soit une réussite, l’accompagnement est un élément décisif selon Stéphane Compain. « Nous prenons les gens par la main. Nous les guidons. Nous nous occupons de toute la partie logistique. Ils peuvent ainsi se concentrer sur leur nouveau travail et l’intégration de leur famille le cas échéant. Notre travail leur dégage beaucoup de temps et leur enlève pas mal de stress, explique le gérant de l’agence. Les ressources humaines, chez nos clients, peuvent se concentrer sur leur cœur de métier. Nous les déchargeons de toutes les démarches liées à la relocalisation, nous répondons aux questions que se pose leur nouvel employé à leur place. »
Les services de relocalisation, qu’ils soient proposés par une agence ou assurés par l’entreprise directement, facilitent l’installation des talents et sont essentiels à leur attraction. « Dès le départ, les gens se sentent accueillis, accompagnés, en confiance. Un déménagement traditionnel, dans une vie, est déjà un événement stressant. Alors, imaginez quand il s’agit de déménager à l’étranger avec toute votre famille, commente Stéphane Compain. Nous sommes là pour leur permettre d’envisager ce changement de vie sereinement. »
L’aspect familial fait en effet partie des grands défis de la relocalisation. Outre la bonne intégration du conjoint, lorsqu’il y a des enfants en jeu, il faut pouvoir les scolariser. Selon le timing du déménagement, ce n’est pas une mince affaire. Stéphane Compain en témoigne : « Il arrive que la famille de l’employé arrive plus tard, faute de trouver un établissement scolaire adapté. Lorsque les enfants sont jeunes, c’est plus simple, mais à partir de 14 ans, pour peu qu’ils suivent un programme spécifique, c’est beaucoup plus compliqué. Les dates d’inscription doivent correspondre. De plus, il n’y a pas énormément d’écoles anglophones au Luxembourg, et elles sont souvent très chères. Donc, il faut que le salaire suive ».
Quand Meera est arrivée au Luxembourg pour rejoindre son mari, elle a dû attendre six mois avant de pouvoir placer ses enfants dans une crèche. « Notre appartement se situe à Esch-sur-Alzette, explique-t-elle. Lorsque nous sommes arrivés, il n’y avait pas de places disponibles à la crèche municipale. Nous étions sur une liste d’attente et nous avons dû patienter six mois avant d’avoir une place libre. Le problème était que le coût était très élevé pour les deux enfants en même temps. J’ai donc dû patienter encore et garder les enfants auprès de moi. Je ne travaillais pas pour pouvoir m’occuper d’eux ».
Il n’y a pas que pour les familles que la question du logement est problématique. Même pour un célibataire sans enfants, venir travailler au Luxembourg et s'y loger n’est pas évident. Surtout pour les jeunes, dont les ressources financières sont moindres.
Chez PwC, où la moyenne d’âge des salariés ne dépasse pas 32 ans, l’hébergement des recrues étrangères représente aussi une difficulté. « La disponibilité de logements n’est pas suffisante et le coût des loyers est élevé. Ce n’est pas simple. Des aides étatiques existent, mais elles sont peu connues. Pour beaucoup de jeunes qui arrivent au pays, c’est un peu la douche froide, parce que, souvent, ils se retrouvent en colocation. Le Luxembourg a mis en place des incitants fiscaux pour les jeunes, mais c’est encore assez récent, il faut voir ce que cela va donner d’ici quelques années » commente Séverine Moca.
Dans sa politique de relocalisation, PwC a choisi de ne pas subventionner directement le logement des nouvelles recrues, mais d’agir en proposant des bénéfices et, surtout, de miser sur l’anticipation. « Nous sommes restés sur la même ligne de conduite depuis des années. Nous communiquons beaucoup en amont afin d’éviter le plus possible les mauvaises surprises. L’idée est de donner un maximum d’informations avant l’arrivée au Luxembourg » ajoute Séverine Moca.
Généralement, l’employeur charge l'agence de relocalisation de trouver un logement temporaire au salarié et à sa famille, le temps de pouvoir entamer les recherches de crèche ou d’école, de régler les questions d’assurances, d’allocations familiales, d’impôts, etc. Cela a été le cas pour Amit et Meera, mais non sans difficultés : « Lorsque mon mari est arrivé et qu’il a commencé à chercher un appartement, il n’avait pas encore signé son CDI, ce qui refroidissait la plupart des propriétaires. Cela a donc pris plus de temps que prévu. Le logement temporaire n’était prévu que pour deux semaines et Amit a dû prendre une chambre à l’hôtel le temps de trouver un logement convenable pour notre famille. »
Pour le directeur de LuxRelo, le logement au Luxembourg, est un sujet problématique, mais pas plus qu’à Genève, Berlin, Londres ou Dublin. Selon lui, ce n’est pas un frein à la relocalisation luxembourgeoise, car même si les gens doivent faire des compromis, des solutions sont toujours trouvées. Selon lui, le véritable défi est ailleurs. « L’année dernière, le taux de personnes avec qui on a commencé à travailler et qui n’ont pas finalisé leurs démarches n’a jamais été aussi élevé depuis nos débuts, explique-t-il. Aujourd’hui, les gens réalisent parfois que même avec une augmentation significative de salaire, en additionnant tout, ils ne s’y retrouveront pas. Ils décident donc de ne pas venir, ou de repartir. »
Pour continuer à attirer et à fidéliser les talents, le Luxembourg peut compter sur son internationalité, qui ne cesse de se développer.
« Cela fait 25 ans que je vis au Luxembourg et je trouve que le pays s’est véritablement internationalisé. Quand on marche dans la rue, on entend toutes les langues. Et pourtant, il suffit de parler anglais pour pouvoir se débrouiller. Ce n’était pas le cas il y a 4 ou 5 ans. Il y a de plus en plus d’étrangers qui viennent d’au-delà des pays frontaliers », constate Stéphane Compain.
Une réflexion partagée par Séverine Moca : « La société luxembourgeoise est multiculturelle. Il y a quelques années, c’était très franco-belge. À présent, ça parle toutes les langues. Nous travaillons d’ailleurs de plus en plus sur les formations multiculturelles pour aider les étrangers à s’installer et à assimiler les coutumes locales. Mais nous travaillons aussi sur les différences multiculturelles et les habitudes étrangères dont pourraient parfois s’offusquer les locaux ».
Quant à Meera, après une adaptation compliquée par le Covid, elle et sa famille ont trouvé leurs marques. Son mari a changé d’emploi et elle travaille désormais à l’Université de Luxembourg. « Nous avons apprécié intégrer la communauté luxembourgeoise, explique-t-elle. Nous sommes très heureux ici. Les infrastructures pour les familles et les services publics sont vraiment très bien. Il y a de nombreux parcs pour les enfants, ce qui rend la vie quotidienne très agréable ».
Conscient des défis que représentent les pénuries de main-d’œuvre actuelles et les besoins futurs du marché du travail, le gouvernement luxembourgeois a mis sur pied un comité interministériel intitulé le « Haut comité pour l’attraction, la rétention et le développement de talents ». Son objectif : « Fournir au Luxembourg une stratégie marketing concrète, servant de feuille de route pour élever la nation au rang de destination internationale pour travailler et vivre. »
Chargé de définir les orientations stratégiques et d’assurer le suivi de l’action gouvernementale de manière coordonnée, le Haut comité s’est réuni deux fois en 2024 et prévoit de se rassembler à nouveau au printemps de cette année. Parmi les projets lancés, qui devraient voir le jour en 2025, figurent la mise en ligne d’un portail numérique destiné à attirer les talents et faciliter leur intégration au Luxembourg et le lancement d’un « Employers Toolkit » pour accompagner les entreprises qui recrutent à l’international.